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Plume et Pinceau
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Plume et Pinceau , ça évoque le masque et la plume mais c'est plus rigolo !

Roger Fringant & Erwan l'irlandais, renforcés à l'occasion de Maitre Kapello ou Master Drovitch, vous proposent une heure consacrée au 9ème art.


Rhââ, Gotlib est mort !
06-12-2016

 

Roger fringant est bien triste. Il m'a demandé de mettre en ligne cette interview de Yan lindingre issue de télérama

Erwan l'Irlandais


Le rédacteur en chef du magazine de bande dessinée cofondé par Gotlib revient sur l’héritage laissé par le créateur de Gai-Luron, Superdupont ou la Rubrique-à-Brac, mort ce dimanche 4 décembre : “Son travail a toujours été rempli de strates, sans jamais être pédant.”

La liste de ses créations – de la Coccinelle aux Dingodossiers, en passant par Hamster Jovial et Bougret et Charolles – qui pleurent aujourd'hui la mort de leur papa est longue. Marcel Gotlieb, dit Gotlib, est mort dimanche 4 décembre, à l’âge de 82 ans. Prolifique dessinateur mais aussi patron de journaux, il laisse derrière lui un héritage génial. Notamment via Fluide glacial, magazine d’« umour et bandessinées » qu’il confonde en 1975 avec Jacques Diament et Alexis, et dont l’auteur et dessinateur Yan Lindingre est l'actuel rédacteur en chef. Pour Télérama, il explique l’esprit Gotlib.

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  • Rhââ, Gotlib est mort !

 

 

On montre souvent Gotlib comme un homme profondément drôle mais aussi dépressif. Est-ce juste ?

Yan Lindingre : Il ne s’en cachait pas, il l'a même raconté dans ses autobiographies : il a traversé des moments très, très noirs, qui l’ont poursuivi toute sa vie. Son existence a été ponctuée de crises de mélancolie sévères. Ces dernières années, il était en plus très handicapé par sa maladie. Mais sa grande période de création entre 1965 et 1985, durant laquelle il a travaillé avec acharnement, lui a permis d’évacuer ses angoisses.

 

C’est quoi Gotlib, finalement ?

C’est la rencontre de plein d’univers. Il a pris une claque en lisant MAD, comme beaucoup de dessinateurs français qui tombaient sur leurs confrères américains. Sauf que lui était davantage passionné par les humoristes que par les auteurs de comics. Ses influences sont à chercher du côté de MAD et de Neal Adams [qui a dessiné beaucoup de comics de super-héros, ndlr], un mélange entre un humour français tout à fait maîtrisé et une culture anglo-saxonne qu’il aimait beaucoup : le sens de l'absurde des juifs new-yorkais comme les Marx Brothers, ou celui des Monty Python émergeant au début des années 1970. Gotlib a été un grand importateur d’humour.

 

Mêler autant d’influences était assez unique pour l’époque.

Il ne faut pas oublier qu’en France, l’époque était à Fernand Raynaud – avec tout le respect que j’ai pour lui, c’est poilant. Gotlib allait beaucoup au cinéma, il était le roi du pastiche, il lisait énormément, notamment de la psychanalyse. Il réalisait d’ailleurs un peu le même travail que Bruno Bettelheim sur les contes de fées, dans une forme de mise en abyme de la psychanalyse elle-même.

D'ailleurs, quand il faisait de l’humour, il riait en même temps de l’humour. Son travail a toujours été rempli de strates, sans jamais être pédant. C’était typiquement l’école Goscinny. Car avant lui, René Goscinny aussi a été un importateur de cet humour des Etats-Unis, dont il revenait après-guerre. Gotlib a été son enfant terrible, plus fou. Il est resté fidèle à son mentor, malgré la brouille de 1968, quand certains auteurs de Pilote ont fait leur crise d’adolescence, avec la libération sexuelle.

 

Gotlib avait envie de parler de sexe, de faire de l’humour scatophile (qu'il avait toujours revendiqué, tout en étant un intellectuel), de traiter de sujets qui n’étaient pas permis dans Pilote, le journal du papa. Une fois qu’il s’est libéré de celui-ci, il a regretté sa joute et la violence des uns et des autres vis-à-vis de Goscinny. Mais quand il voyait comment Hara Kiri explosait tous les codes, lui aussi voulait sa part de folie.

 

  • Marcel Gotlib en 2007 : “Ce n’est plus possible de dessiner Zeus, Jésus, Mahomet... en train de se bourrer la gueule”

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Gotlib disait à Télérama, en 2007, qu’il n’était aujourd’hui « plus possible de dessiner Zeus, Jésus, Mahomet... en train de se bourrer la gueule » comme il l'a fait dans God's club, notamment...

On est rentré dans une ère où on dit tout, tout le temps, dans tous les sens. Alors, oui, on s’exprime. Mais tout est suranalysé. On l’a vu avec Charlie Hebdo, qui était un journal qui n’intéressait plus et qui allait tout droit vers la poubelle. Tout d’un coup, tout ce que fait ce journal est décortiqué jusqu’à l’autre bout de la planète. C’est ça le problème. Gotlib était tout simplement drôle. Extrêmement. C’est pour ça qu’il pouvait tout se permettre. Les lecteurs, eux, étaient sûrement plus ouverts d’esprit. Et puis, on savait que c’était de l’humour. On allait pas demander si c’était de l’humour drôle ou pas drôle. Si ça ne l’était pas, on attendait le numéro suivant ou on allait lire autre chose.


Aujourd’hui, on encule les mouches à longueur de temps. On est dans une drôle d’époque. Alors oui, on pourrait encore faire ce genre de choses aujourd’hui… mais ça ne serait pas compris de la même façon. La loi dit qu’on peut encore le faire. Mais de plus en plus souvent, des dessinateurs se trouvent confrontés à des tribunaux. Ce n’est pas le cas qu’en France. Chez Fluide Glacial, nous travaillons avec des auteurs turcs, maghrébins, iraniens, qui peuvent dessiner les djihadistes mais qui risquent tellement plus – l’emprisonnement voire la peine de mort – s’ils s’en prennent à Mahomet. Aujourd’hui, donc, on fait gaffe, on biaise tout, on se pose des questions. Ce qui était inimaginable à l’époque de Gotlib.

 

Que reste-t-il de Gotlib ?

Il reste évidemment L’Echo des savanes et Fluide glacial, deux journaux qu’il a fondés. Il laisse aussi de grands auteurs qu’il a accompagnés et formés, surtout chez Fluide, évidemment. Gotlib était un pygmalion. Ceux qui ont eu la chance de tomber entre ses pattes, il en a fait des très grands. Quand Edika est arrivé en France et est entré à Fluide glacial en tant que coloriste, après avoir fui les Frères musulmans en Egypte et la guerre civile au Liban, il était très sage. C’est Gotlib qui lui a demandé d’être fou. Edika est ainsi devenu le plus fou de tous les dessinateurs. Au téléphone, dimanche, il me disait qu'avec la mort de Gotlib il avait perdu son papa.

Goossens n’aurait pas pu devenir ce génie s’il avait dessiné dans les pages de Pilote, avec ses exigences narratives, de chutes et de standards. Moi, qui ne m’inscris pas forcément dans son école, ou Binet – un dessinateur, lui aussi, très sage au début – et Solé, nous avons tous été influencés par lui. Et puis, il a participé à l’éclosion d’auteurs. Dans la presse écrite, il y a des commissions paritaires qui imposent des espaces de texte, que les journaux illustrés de l’époque remplissaient avec du rédactionnel sans intérêt, acheté au kilomètre. Gotlib a tenu à ce que ce soit des pages de poilade. Il a donc recruté Frémion et Léandri. Il a permis à beaucoup de gens différents, comme Patrice Leconte ou même Jean-Pierre Jeunet, de venir galoper dans Fluide glacial. Gotlib laissait cette porte ouverte à la folie, comme quand Zappa, dont il était dingue, disait « Freak out ! ».


Comment son esprit perdure-t-il à Fluide glacial aujourd’hui ?

Fluide est le dernier journal adulte. L’Echo des savanes vit un ultime avatar, mais ne fait plus de découverte d’auteurs. A suivreTintin ou Métal hurlant n’existent plus. J’essaie de travailler dans l’esprit de Gotlib, dans la folie et la pluralité. Fluide glacialn’a jamais eu de ligne unique. Personne n’y dessine de la même façon, aucun n’a les mêmes univers. Cet héritage est très, très précieux.


La France est très poreuse, entourée de pays avec des rires bien à eux : il y a l’humour nordique (représenté par Willem ou Kamagurka), l’humour belge, celui typiquement anglais, espagnol ou italien, et bien sûr l’américain – bon, en Allemagne, il n’y a pas d’humour ! L’esprit Gotlib, c’est cet esprit international. Il tirait sûrement cela de ses racines de mec mélangé, à la fois hongrois, juif, titi parisien, tourné vers les Etats-Unis.

Il y a une anecdote géniale : quand il était môme, vers 13-14 ans, il fait un séjour linguistique chez une famille anglaise, où il ne comprend pas un mot. Passé quelques jours, il se persuade, d’une seconde à l’autre, qu’il est capable de répondre en anglais et de se faire entendre. En fait, il parlait hongrois aux gens, comme dans sa propre famille.


De son vivant, il a été honoré par trois expositions, dont une à Angoulême et une autre au musée d’Art et d'Histoire du judaïsme. Ce qui est relativement peu au regard de son influence. De la part des institutions, a-t-il la reconnaissance qu’il mérite ?

En tant que prof aux Beaux-Arts de Metz, je me suis rendu compte que la discipline reine, ce sont les installations d’art contemporain et ce genre de merdes prétentieuses. En tant qu’auteur de BD, a fortiori auteur d’humour, je suis conscient qu’on est toujours considérés comme les derniers des crétins. Que les musées rendent hommage à des gens à qui ils ont tourné le dos de leur vivant, c’est marrant à voir. Le Grand Palais expose Hergé. On pourrait trouver cela normal – il y a certes un académisme et un sérieux qui le justifieraient peut-être –, mais même lui a été considéré comme un auteur pour enfants. Pour moi, la bande dessinée d’humour, c’est comme le rock’n’roll : ça ne me dérange pas si ça reste un petit peu marginal. Ce qui m’emmerde, c’est que c'est uniquement quand des mecs comme Gotlib décèdent qu'on en fait des super-héros. Alors que pour nous, Gotlib a toujours été un super-héros.

 

 


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